Voici l'histoire longue[La lecture de ce texte n'est pas obligatoire] du "peut être" passé de Sékarra, mais étais-ce la véritable histoire..?
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Il fait froid, très froid... Je tiens mon petit frère dans mes bras, contre mon coeur glacé par la peur pour qu'il y trouve réconfort. Ça fait des jours que notre père et notre mère sont partis. Ils devaient partir chercher refuge chez des gens qui accepteraient éventuellement de nous héberger. Pourtant, ça fait déjà 3 jours et ils ne sont pas rentrés. Mon frère et moi prions sans cesse pour qu'ils soient en vie. Jules, lui y croit encore, mais moi je n'espère déjà plus. Je ne dis rien, je ne veux pas qu'il prenne peur mais, je me suis faite à l'idée qu'ils se sont fait prendre. Qu'ils ont été amenés dans un camp de concentration. Fichue étoile, j'aimerais l'arracher, la jeter au feu. Ne plus jamais la voir, je sais que c'est ça qui fait que nos parents ne reviennent plus. J'ai envie de pleurer, mais je ne peux pas. Rien que respirer devient dangereux. Le moindre bruit et ils viendront nous chercher. Nous sommes dans une cave humide et froide, je serre toujours mon petit frère contre mon coeur depuis qu'ils sont partis. Nous sommes le 8 décembre 1941 à présent.
La nuit tombe à nouveau, j'hésite longuement à faire craquer une allumette pour nous éclairer un peu. Mais je me décide quand même. Si je n'allume pas une bougie, nous allons mourir de froid. Jamais un mois de décembre ne m'a paru si long et si douloureux à traverser. J'approche ma main tremblante près de la boite d'allumette, quasiment vide. Plus qu'une allumette, il fallait en faire bon usage, pas question de plaisanter avec, nos vies en dépendaient. Je pose ma main libre sur le sol, voir si j'y trouvais une bougie et, si possible un socle pour l'y entreposer plus facilement, ce serait mieux. Et miracle, je trouve une bougie, une grande bougie. Quelle joie, au moins avec cela elle durera longtemps, j'imagine avec joie la chaleur qu'elle allait nous procurer. Je tâte encore du bout du doigt le sol pour y trouver un éventuel socle et j'en trouve alors un. Un peu usé, il partait en morceau, mais je ne peux me permettre de faire la difficile. Je pose la bougie sur le socle et le met devant Jules et moi. Je sors l'allumette de la boite, à la vision de la lumière que nous n'avions plus vus depuis trois jours, mon petit frère et moi, je sentis comme une chaleur réconfortante se poser sur mes trop maigres épaules. Je frotte une fois l'allumette sur la boite et quel fut mon plaisir de sentir sur mes doigts feutrés et trop fins cette chaleur qui me manquait et c'est avec plaisir que j'allume la bougie et souffle légèrement sur l'allumette pour éviter qu'elle me brule les doigts. La lumière, la chaleur. J'ai envie de pleurer de joie tant je suis contente. C'est fou comme quelque chose de banal pour certains, peut être une bénédiction pour d'autres. Je reprends Jules dans les bras, lui aussi est content. Content de voir quelque chose qu'il avait presque oublié. Grace à la lumière, je peux revoir mes cheveux d'un blond sale retomber devant mes yeux, je peux revoir les couleurs autre que noir ou marron, comme celle de la veste trop grande que je porte, que mon père m'avait donnée avant de partir, au cas où j'aurai froid. Mais malheureusement ni ce manteau, ni cette bougie, ni cette lumière ne peuvent nous faire oublier l'horreur dans laquelle nous nous trouvons, nos vies ne tiennent pas qu'à un fil, elles sont déjà tombées, mais avec un peu de chance quelqu'un les rattrapera.
La peur ne nous lâche malheureusement plus. Je me dis qu'à n'importe quel moment, les policiers peuvent entrer, nous tuer et le soir dormir la conscience tranquille, pensant qu'ils ont fait ce qu'il fallait. Ils ne savent pas ce que sont la douleur, le froid, la peur, qu'ils nous font endurer. Qu'avons-nous fait pour mériter ce sort tellement misérable qu'on marche dessus ? Quelle souffrance de se dire, qu'on en ressortira sûrement pas vivant. Quelle honte pour moi de ne pas pouvoir dire à Jule ce qu'ils vont faire de nous. Non pas que je veux lui cacher la vérité, même si c'est en quelque sorte le cas mais, parce que moi-même je n'en sais rien. Je ne sais pas, que si on devait partir, quelqu'un aurait honte et réfléchirait à deux fois avant de sacrifier nos vies après avoir tant souffert. Après avoir pensé, seconde après seconde que demain on ne sera déjà plus de ce monde. Comprennent-ils ? Comprendront-ils un jour, je n'en sais rien... Et cette fois, rien ne retient mes larmes, qui coulent sur mes joues blanches les unes après les autres. Nous ne savons pas si c'est la nuit, si c'est le jour, nous ne pouvons nous fier qu'au clocher du village qui sonne toutes les 12h, nous permettant de savoir quel jour nous sommes, même si nous n'y prêtons plus vraiment attention. J'entends Jule frissonner, je lui caresse les cheveux pour le rassurer, lui faire comprendre que je suis là et que je resterai avec lui même si la mort devait nous emporter.
Nous avons déjà entamé la moitié de la bougie et de plus, nous commençons à mourir de faim. La seule nourriture que nous nous sommes permis depuis que nos parents sont partis, c'était une baguette de pain. J'avais donné les 3/4 à Jule, qui est beaucoup plus jeune que moi. Cependant, ça va faire 1 journée que je n'ai rien avalé. Et je ne me permettrai jamais de manger la part de Jule. Mais un des seuls bons côtés d'être dans une cave, c'est que c'est ici qu'on y entreposait la nourriture à conserver. Comme la viande, le vin etc. C'est avec difficulté que je me décide à me lever, j'ai un peu le tournis, mais je ne dois pas tomber, ça risquerait de faire du bruit. Je remets correctement sur ma tête le chapeau que je portais, un grand morceau de tissu épais que m'a tricoté ma mère il y a longtemps, il ne me quitte plus depuis. Je posai un pied devant l'autre le plus lentement possible, grâce à la maigre lueur de la bougie, je sais déjà par où je dois aller pour avoir une chance d'y trouver de quoi manger. Devant une dizaine de caisses posées là, je m'accroupis pour avoir une meilleure chance d'y percevoir de quoi manger et de quoi boire. J'y trouve tout d'abord, une dizaine de bouteilles de vin, j'en prends une et la pose à côté de moi, voilà de quoi boire. J'imaginai le sourire que venait de donner Jules devant de quoi boire, ça m'en arracha alors un à mon tour. Je pris une caisse et l'ouvris, rien. J'en pris une 2e, rien. Une 3e puis une 4e etc. Jusqu'à la 7e où j'y trouvai tout ce dont on pouvait avoir besoin. Du pain, de la viande crue et 2 pommes de terres. De quoi tenir un bon moment si on se retenait de manger. Je mets la bouteille de vin dans la caisse avant de la prendre entre mes bras et de l'apporter près de Jules. Mais, alors que je m'apprêtais à m'asseoir mon regard se posa sur quelque chose que je crus reconnaître. Je m'approchai à pas de géant près de cette "forme", et je ne m'étais pas trompée. Un carnet de dessin avec un crayon.
Je saisis les 2 objets et vins me rasseoir à côté de Jules, qui commençait à boire un peu de vin dans une coupelle, de quoi étancher sa soif sans se saouler pour autant. Je suis si contente de retrouver ces objets que je croyais perdus à jamais. Je regarde d'anciens dessins à moi, du plus ancien de mes 7 ans, jusqu'à des dessins plus récents de mes 12 ans. Voilà combien de temps que je n'ai pas dessiné, je me pose la question. Mais sans m'en poser une de plus, je pris le crayon et commença à dessiner à la lueur de la bougie réconfortante. Jules ressentait ma joie, tout 2, on avait appris en quelques jours à se parler sans piper mots, on se ressent l'un l'autre. On ressent nos joies, nos peurs, nos pleurs etc. Alors que Jules finit tout juste sa coupelle de vin, moi, j'ai presque fini mon dessin. Qu'est ce que je dessine ? Un paysage. Non pas des arbres, non pas la plage. Je dessine déjà un chaud soleil d'été qui me réchauffe rien qu'à sa pensée, c'est un orphelinat. Il est assez spacieux, assez grand, il pourrait accueillir des centaines d'enfants. Pas que des orphelins, des enfants, des ados jetés à la rue aussi. Un endroit où il fait bon vivre, où on prendrait plaisir à s'y réveiller chaque matin. Il n'y a pas de guerre, c'est calme et paisible... la bougie s'éteint.
Les vies de Louise et de son petit frère Jules s'éteindront quelques jours plus tard. Jules mourra dans les bras livides de sa soeur, Louise va mourir dans un camp de concentration dans les pires souffrances imaginables. Louise est morte sachant que personne ne la regrettera, qu'elle n'aura laissé aucun souvenir, aucune trace derrière elle. Comme tous les Juifs morts avant elle. La vie d'une gamine de 14 ans ne devait pas intéresser grand monde, pourtant, elle avait belle et bien laissé une marque derrière elle. Son dessin. Il était resté là, dans la cave où elle avait passé tout son temps "libre". Quelqu'un l'avait récupéré, qui ? On ne sait pas, ça restera sûrement un mystère. Tout ce qu'on sait, c'est que bien des années plus tard le rêve de cette petite juive qui avait perdu tout espoir, allait se réaliser, mais pas en France, non... bien plus loin, au Japon.
Durant des années, de père en fils, de mère en fille, l'orphelinat Sékarra faisait et fait aujourd'hui encore le bonheur de nombreux de jeunes ayant perdu espoir. . .